Le conseil familial auprès de familles victimes de pédophilie

Le conseil familial auprès de familles victimes de pédophilie
Article déposé le 15 avril 2010

Le sentiment de culpabilité comme destructeur de la dynamique familiale

On ne peut pas parler des victimes de pédophilie sans évoquer la famille des victimes. En effet, la souffrance de la famille ne doit pas être déniée ou mise de côté si nous souhaitons, en tant que thérapeute, accompagner les victimes mineures. Je n'ai pu que constater les difficultés rencontrées par les familles pour trouver des lieux et des professionnels ayant une écoute aguerrie face à ce traumatisme. Tout comme la victime, sa famille qu'il s'agisse des parents ou de la fratrie présente un fort sentiment de culpabilité. Ce sentiment de culpabilité ne pourra s'estomper que si la famille s'autorise à la verbaliser. Mais bien souvent, les parents et la fratrie se sentent tellement responsables et coupables que mettre des mots sur des maux devient impensable. Ils pensent, à tort, ne pas avoir le droit de souffrir, eux qui n'ont pas su protéger leur enfant ou leur sœur ou leur frère. Dans mon article sur la douleur des pères, j'ai évoqué ce processus.

Pourquoi travailler avec les familles



Cette souffrance est tabou si bien que les familles ne font que très rarement remonter auprès des pouvoirs publics le manque de structures et de professionnels formés spécifiquement dans la prise en charge les familles victimes de pédophilie. Ce constat, je l'ai fais très tôt dans mon parcours professionnel. C'est pourquoi, en 2002, lorsque l'Institut de Profilage et d'Analyse Criminelle m'a demandé d'animer un stage sur " La prévention et le profilage des pédophiles", j'ai consacré l'une de mes interventions sur la souffrance des parents.

Mon objectif était double: 

  • Les rendre visibles en apportant des témoignages

  • Sensibiliser les professionnels à cette problématique

 Si la victime évolue dans une famille dont les membres se sentent coupables, il peut y avoir des conséquences sur toutes les interactions intra-familiales et le conflit sera au mieux latent.

Récit



Pour illustrer mes propos, voici le récit d'une famille victime de pédophilie et dont la dynamique familiale a été remise en question.

Lors de l'une de mes permanences téléphoniques
, je reçois un appel d'une mère ayant appris quelques mois auparavant que sa fille, âgée de 15 ans, a été violée pendant trois ans par un oncle. Les parents ont accompagné l'adolescente pour le dépôt de plainte, elle est suivie psychologiquement. L'agresseur est en détention dans l'attente de son procès. Elle parle de la souffrance de sa fille et de son impuissance pour l'accompagner dans un processus thérapeutique. Elle ne s'autorisera pas ici à parler de sa souffrance face à son ressenti d'impuissance…Nous convenons d'un deuxième rendez-vous téléphonique.

Au cours de ce deuxième rendez-vous, la mère parle du climat familial. Elle ne supporte aucune sorte d'autorité si bien qu'à 15 ans elle fait ce qu'elle veut. Elle sort quand elle veut, elle va à l'école ou non en fonction de son bon vouloir. Lorsque je lui demande comment ils se positionnent en tant que parents, elle me répond qu'ils ne disent rien, ils la laissent faire "parce que la pauvre avec ce qu'elle a subi". Le frère de la victime qui était plutôt turbulent, il ne manifeste plus aucune forme d'opposition. Il obéit, il fait ses devoirs, il ne cherche plus à provoquer sa sœur, il est complétement différent. Et là encore, la mère précise qu'il ne veut pas être en conflit avec sa sœur "parce que la pauvre…". Ils ne jouent plus leur rôle de parents non pas parce qu'ils sont démissionnaires mais parce qu'ils se sentent tellement coupables qu'ils ne veulent en aucun cas la contrarier. Elle voulait un scooter mais les parents s'y étaient opposés par peur d'un accident. Une semaine après avoir appris les agressions sexuelles, ils lui en ont acheté un. Elle a tout ce qu'elle veut, il suffit qu'elle le demande. Et les rares fois où ils ont tenté de s'opposer à ses désirs, elle leur a renvoyé son statut de victime…Nous convenons d'un troisième rendez-vous.

Dès le début de notre entretien, j'oriente la réflexion sur la notion de culpabilité. Elle finira par parler de ce qu'elle ressent à savoir sa propre culpabilité. Elle reviendra ensuite sur le côté "tyrannique et despotique" de sa fille. J'ai tenté alors de la repositionner dans son rôle parental en insistant sur la nécessité de poser des limites à sa fille comme ils le faisaient auparavant. Poser des interdits à sa fille était impensable à ce moment là. Elle a mis fin à nos rendez-vous.

Plusieurs mois après, elle m'a rappelée pour me faire part de l'évolution de la situation familiale. Après avoir vécu un véritable calvaire avec leur fille, ils ont fini par lui mettre des limites sans se référer à son vécu. Après quelques résistances, leur fille a accepté l'autorité parentale et elle a repris son travail thérapeutique.


Pour conclure



De part leur fort sentiment de culpabilité les parents ont changé du tout au tout leur mode éducatif en ne fixant plus aucune limite à leur fille. Ils ne supportaient plus la confrontation avec leur fille si bien qu'ils ne jouaient plus leur rôle de parents. Ces changements n'ont fait que renforcer le statut de victime ressenti par leur fille. Vu que ses parents étaient différents, pouvait-elle alors ne pas suivre ce changement, changement de comportement qui a concerné toute la famille même le frère?
Classé dans : Conseil conjugal et familial - Thérapie de couple

À propos de l'auteur

Caroline Van Assche

Formée à la thérapie de Couple et de Famille à l'Institut Michel Montaigne à Bordeaux,

Formée à l'ICV (Intégration du Cycle de Vie) à l'Institut Double Hélice,


Diplômée en Psychologie Clinique et Pathologique à l'Université Bordeaux 2 Victor Segalen,


Formée au Conseil Conjugal et Familial au Planning Familial de la Région Ile de France,

Formée au Travail Psychanalytique avec les couples et les familles au Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale de Bordeaux,
Formée à la Sexologie Clinique et Santé Publique à l'Université Paris 7 René Diderot,
Formée à la Sexologie Sexofonctionnelle à l'Université Paris 6 Pierre et Marie Curie,
Membre de L'Association Nationale des Conseillers Conjugaux et Familiaux,
Membre de L'Association Francophone de Sexologie Sexofonctionnelle.