Article déposé le 1er Mars 2010

Lors de mon parcours professionnel, j'ai été amenée à travailler auprès de femmes excisées mais aussi à constater l'impact de sa représentation (contrôle de la sexualité des femmes) au sein des familles. En voici un exemple.

Dans mon article sur la réparation pénale auprès de mineurs agresseurs sexuels, j'expliquais les objectifs d'une telle mesure sans rentrer dans le parcours familial des adolescents suivis. Alors voici le vécu familial du plus jeune, que j'appellerai Jean, âgé de 12 ans au moment de l'agression sexuelle qu'il a commise.

Jean a une sœur, Lucile, âgée de 25 ans. A 16 ans, Lucile est amoureuse d'un garçon n'appartenant pas à l'ethnie du père de Lucile. Il s'agit bien évidemment d'un amour platonique car Lucile a bien intégré la tradition familiale qui est d'être vierge jusqu'au mariage. Parallèlement, elle a aussi intégré les règles (à cette époque, il n'y avait pas encore de lois contre les mariages forcés)françaises concernant le mariage quant à la liberté du choix du partenaire. Quand son père a appris cette liaison, il a attendu les vacances scolaires. Il a envoyé sa fille dans le pays où il est originaire pour l'exciser puis pour la marier de force. Avant son départ, Lucile a senti que quelque chose se tramait derrière son dos. C'est pourquoi, elle a informé l'assistante sociale de son établissement scolaire de son départ avec la date supposée de son retour tout en lui faisant part de ses inquiétudes. A la rentrée scolaire, l'assistante sociale a remarqué l'absence de Lucile et elle a alerté les pouvoirs publics. Le père de Lucile a du oublier que cette dernière était française et que par conséquent la France devait la protéger où que ce soit dans le monde. Lucile a donc été excisée puis violée pendant plusieurs mois avant que les services de police la retrouve et qu'elle puisse être rapatriée en France. A son retour en France, Lucile a été bannie de la famille, même prononcer son prénom est interdit.

Cette histoire reflète bien l'un des rôles de l'excision à savoir le contrôle de la sexualité des femmes pour s'assurer de la transmission génétique. La sexualité y est perçue dans sa fonction primaire et où le plaisir de la femme ne tient aucune place.

C'est dans ce climat que Jean est élevé. Il lui est interdit de parler de sa sœur, celle qui a porté la honte sur la famille parce qu'elle s'est opposée à la tradition familiale où l'homme se comporte en despote et où la femme doit se soumettre à ce tyran. Il fait un lien entre la sexualité et sa sœur. Parallèlement, la mère profite du sentiment de culpabilité de Lucile en lui faisant porter le poids de la rupture familiale. Si bien qu'elle fait payer à Lucile des vêtements et de la nourriture pour Jean avec ou non la complicité du père, je ne sais pas. Ainsi, Jean évolue dans une atmosphère de secrets et de mensonges où la femme n'est qu'un objet et où la sexualité de la femme est contrôlée par l'homme. Et l'un des moyens de contrôle est l'excision car du fait de l'excision les rapports sont douloureux et par conséquent la femme limitera autant que possible ses rapports sexuels. Elle n'aura donc pas d'autres partenaires que son mari. l'excision est perpétrée du fait même de ces représentations.

En agressant sexuellement sa victime Jean a pu ainsi contrôler la sexualité d'une femme. Il est donc primordial lors des animations scolaires de les amener à réfléchir sur les relations filles/garçons et cela devrait commencer dès le plus jeune âge si nous voulons développer les relations égalitaires. Dans notre travail de réparation pénale, Nathalie Marinier et moi-même sommes intervenues auprès de la famille. Nous espérons que notre recommandation de la mise en place d'une mesure éducative en milieu ouvert (AEMO) ait été suivie par la justice.